Sobriété, frugalité, neutralité… Décryptage des mots tendances chez les acteurs de la ville et de l’immobilier.
Depuis quelque temps maintenant, une prise de conscience ou une volonté accrue de changement de paradigme surgit progressivement parmi les acteurs de l’aménagement et la construction des territoires quant à la nécessité de préserver les ressources et de réduire l’empreinte environnementale de la ville de et de l’immobilier.
Il est vrai qu’un bâtiment et par extension une ville, requiert des matériaux de construction, de l’énergie primaire pour la production de ces mêmes matériaux et leur transport ainsi que pour le fonctionnement des infrastructures et des immeubles. Sans oublier qu’il faut répondre aux besoins de mobilité au travers des transports individuels et collectifs eux-mêmes consommateurs d’énergie. Et plus une ville abrite de d’habitants, et donc de bâtiments, de services, d’activités, plus elle sera énergivore et aura un métabolisme élevé, c’est-à-dire un besoin en approvisionnement de ressources important.
Les villes sont également boulimiques et terme d’espace, puisque l’étalement urbain caractéristique de l’urbanisme et de l’immobilier des dernières décennies provoque la transformation de dizaines de milliers d’hectares de terres agricoles et naturelles en routes, lotissements, en zones industrielles et commerciales etc.
Entre le portage politique de certaines initiatives et le lancement de mouvements citoyens, on voit apparaitre des mots, comme la frugalité, la sobriété, la neutralité qui, si de premier abord s’apparentent davantage à une stratégie de communication ou à du greenwashing, ils sont tout de même porteurs de sens pour ceux qui souhaitent vraiment joindre le geste à la parole.
Nous avons tenté de décrypter plusieurs de ces mots tendances :
Sobriété foncière
En France, entre 2011 et 2021, 243 000 hectares sont passés d’un usage naturel, agricole ou forestier, à un usage urbanisé, principalement pour l’habitat (67%) et l’activité économique (25 %).
La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 impose de réduire la consommation d’espace par deux d’ici dix ans et fixe l’obligation d’atteindre le Zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050 qui est une mesure de compensation.
L’objectif ZAN amène à considérer les sols comme une ressource naturelle à préserver, dans un triple contexte de dérèglement climatique, d’effondrement de la biodiversité et d’enjeu de souveraineté alimentaire.
La sobriété peut se révéler une opportunité pour répondre aux nouvelles attentes des habitants et des entreprises, en équilibre avec le maintien de la biodiversité et les fonctions des sols. Le renouvellement urbain, avec le recyclage du bâti ou du foncier et la densification des tissus existants, peut en effet concourir à diminuer les distances de déplacements et à développer des services, des commerces de proximité, des transports collectifs.
L’élaboration de stratégies foncières précises et partagées doit permettre d’anticiper la mobilisation de friches foncières et immobilières au sein d’opérations plus ambitieuses et complexes que la simple création de lotissements sur terrains « nus ».
Sobriété énergétique
Devenir plus sobre est une priorité dans les pays industrialisés où les niveaux de consommation d’énergie ont augmenté de manière démesurée au fil du temps. Il y a encore, en France et dans d’autres pays, des populations qui ne peuvent pas accéder à des services énergétiques de base comme le chauffage, la cuisson ou l’éclairage.
Dans le scénario négaWatt1, la sobriété énergétique permet en 2050 de réduire de 28 % nos consommations d’énergie par rapport à 2015*. Ce formidable potentiel est mis en lumière dans le scénario négaWatt à travers plusieurs dizaines de paramètres quantifiés comme les transports, les bâtiments, l’agriculture, l’industrie etc.
Neutralité carbone
La neutralité carbone est définie par la loi énergie-climat comme « un équilibre, sur le territoire national, entre les émissions et les absorptions de gaz à effet de serre ». En France, atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 implique une division par 6 des émissions de gaz à effet de serre sur son territoire par rapport à 1990.
Concrètement, cela suppose de réduire les émissions de la France à 80 MtCO2e contre 458 MtCO2e en 2015 et 445 en 2018.
Dans le domaine de l’immobilier, la neutralité carbone est recherchée à travers l’analyse de cycle de vie qui consiste à analyser l’impact en termes d’émission de CO2 d’un bâtiment à différents niveaux et stades de développement : production des matériaux, construction, exploitation, démolition.
Frugalité
Grâce à la ventilation naturelle, au rafraîchissement passif, à la récupération des apports de chaleur gratuits et à l’inertie thermique, la conception bioclimatique permet de réduire au strict minimum les consommations d’énergie, tout en assurant un confort accru.
La construction en bois, longtemps limitée aux maisons individuelles, est mise en œuvre à présent pour des équipements publics d’envergure et des habitations collectives de plus de 20 étages. Les isolants biosourcés, marginaux il y a peu, représentent près de 10% du marché et progressent de 10% chaque année.
La frugalité en énergie, matières premières, entretien et maintenance induit des approches low tech. Cela ne signifie pas une absence de technologie, mais le recours en priorité à des techniques pertinentes, adaptées, non polluantes ni gaspilleuses, comme des appareils faciles à réparer, à recycler et à réemployer. En réalisation comme en conception, la frugalité demande de l’innovation, de l’invention et de l’intelligence collective.
Le « Manifeste pour une frugalité heureuse et créative » rédigé conjointement par Dominique Gauzin-Müller, Alain Bornarel et Philippe Madec explore ce thème de la frugalité, comme alternative aux visions technicistes et productivistes, gourmandes en énergie et en ressources de toutes sortes.
Finalement, ces mots n’auraient-ils pas à peu près la même signification ? Si oui, ils n’exprimeraient cependant pas le même degré d’engagement, la neutralité s’apparenterait plus à une démarche de compensation alors que la sobriété et la frugalité qui semblent être deux notions très proches, s’inscrivent plutôt dans une démarche de réduction voire d’évitement. Chaque projet, chaque étude préliminaire, si on veut anticiper l’impact environnemental d’une construction ou d’une rénovation, nécessite une approche ERC et ainsi d’orienter son action selon le schéma Éviter-Réduire-Compenser. La frugalité prônerait l’usage du strict minimum alors que la sobriété s’apparente davantage à un rapport raisonné et rationnel à la consommation.
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1 L’Association négaWatt est animée par une vingtaine d’experts des questions énergétiques – la Compagnie des négawatts -, qui bénéficient d’une forte expérience de terrain et de compétences complémentaires. Née en 2001, cette association est aujourd’hui soutenue par plus de 1200 membres.
Sources:
https://publications.cerema.fr/webdcdc/les-essentiels/sobriete-fonciere/
https://negawatt.org/IMG/pdf/sobriete-scenario-negawatt_brochure-12pages_web.pdf